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Prise de position de l’Alliance Sécurité Suisse concernant le Rapport de politique de sécurité 2021

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L’Alliance Sécurité Suisse s’est fait entendre dans le cadre des auditions de la Commission de politique de sécurité du Conseil national sur le rapport sur la politique de sécurité (RAPOLSEC) avec une prise de position détaillée.

1.  Résumé
  • La situation en matière de politique de sécurité en Europe et dans ses environs s’est détériorée. La stabilité est surestimée dans le RAPOLSEC. Les conclusions à en tirer ne sont cependant pas suffisamment mises en avant. Les intérêts vitaux de la Suisse sont menacés par la détérioration de la situation. Les moyens disponibles et encore nécessaires pour les préserver ne sont pas présentés de manière adéquate.
  • L’analyse de la menace devrait déboucher sur des recommandations d’action basées sur une définition des objectifs. La seule présentation de la situation ne suffit pas. Il est nécessaire de formuler des recommandations d’action et d’établir des priorités en conséquence.
  • Une gestion de crise ad hoc au niveau fédéral ne suffit pas. Il faut un état-major de crise.
  • Les infrastructures critiques doivent être mieux protégées.
  • La qualité d’une organisation de sécurité dépend de la disponibilité, de la formation et de l’efficacité de ses ressources (humaines et techniques) – la sécurité a besoin de systèmes de sécurité.
  • La politique énergétique est une politique de sécurité. Le risque de pénurie d’électricité en hiver n’est pas suffisamment pris en compte.
  • La gestion « hybride » des conflits ne relativise pas la menace militaire, mais la rend plus dangereuse.

 

2. Prise de position

Ne pas se contenter d’analyser, mais aussi formuler des recommandations d’action en guise de conséquence.

L’Alliance Sécurité Suisse estime que l’analyse de la situation du rapport de politique de sécurité est exhaustive – presque toutes les menaces et tous les dangers sont mentionnés. Les développements importants de ces dernières années sont listés, même si c’est avec une certaine retenue diplomatique. Il pourrait être dit beaucoup plus clairement que les grandes puissances sont en concurrence accrue les unes avec les autres. Lorsque les rapports de force mondiaux s’éloignent de ceux des Etats occidentaux proches de la Suisse sur le plan géographique et des valeurs, les Etats autoritaires gagnent en puissance. Ils peuvent mieux se coordonner entre eux et deviennent moins sensibles aux sanctions économiques de l’Occident. Le rapport conclut que tout cela favorise la régionalisation des systèmes d’ordre. Les conséquences pour la Suisse neutre et la manière dont la Suisse peut agir restent sans réponse. Ce n’est qu’un exemple qui montre que le rapport laisse trop souvent aux lecteurs le soin de tirer eux-mêmes les conclusions.

La stabilité est surestimée.

La mondialisation et le progrès technologique font que des événements lointains affectent la Suisse. Le Covid-19 a montré que la souveraineté en matière d’information est un défi majeur pour les autorités. On peut en conclure que l’opinion publique pourrait être influencée non seulement par une campagne de désinformation ciblée d’une grande puissance, motivée par la politique de puissance, mais aussi par d’autres acteurs. Dans plusieurs pays européens, les partis extrêmes ont gagné en influence politique. Une instabilité dans l’environnement proche de la Suisse aurait, malgré une probabilité aujourd’hui faible, un potentiel de dommages élevé. Du point de vue de l’Alliance Sécurité Suisse, cette stabilité est surestimée dans le rapport. Contrairement aux espoirs des années 1990, il n’a pas été possible d’instaurer des conditions plus stables dans l’environnement de l’Europe. De plus, l’Afrique du Nord, la région du Sahel, le Moyen-Orient et même l’Europe de l’Est et l’Arctique sont devenus plus instables à l’intérieur ou plus âprement disputés par les grandes puissances. La pression croissante de la migration sur l’Europe a en outre acquis une nouvelle qualité, dans la mesure où les Etats commencent à l’instrumentaliser à des fins de politique de puissance. Le rapport n’a pas tenu compte du fait que, pendant la période de consultation, non seulement la Turquie, mais aussi la Biélorussie, ont utilisé la migration comme moyen de pression. La Suisse ne peut donc plus se baser uniquement sur la menace d’acteurs anti-occidentaux, mais doit qualifier la nouvelle situation d’instable.

La gestion de crise ad hoc au niveau de la Confédération ne suffit plus.

L’évaluation officielle de la gestion de crise de la Confédération pendant la pandémie Covid-19 est encore à venir. Mais du point de vue de l’Alliance, la pandémie a d’ores et déjà mis en évidence un besoin d’amélioration systématique et pas seulement ponctuel, par exemple sous la forme d’un état-major de crise ou d’un état-major de conduite opérationnel fédéral permanent. Au vu de l’expérience récente en matière de pandémie, le rapport aurait bénéficié d’une rétrospective plus détaillée des exercices de conduite stratégique et de réseau de sécurité passés. De tels exercices ne devraient pas être trop espacés. Plus de deux ans se sont déjà écoulés depuis l’exercice de sécurité interconnecté 2019 et le dernier rapport ne mentionne même pas d’année de perspective pour le prochain exercice.

Les infrastructures critiques doivent être mieux protégées.

La protection des infrastructures critiques  a bien plus de dimensions que celles décrites dans le rapport. Celui-ci se contente d’écrire que la Suisse est tributaire d’infrastructures critiques situées en dehors de son propre territoire. Mais à l’inverse, il existe aussi sur le territoire suisse des infrastructures critiques dont les dommages auraient des conséquences graves bien au-delà de nos frontières. Par ses efforts en matière de sécurité sur son propre territoire, la Suisse apporte donc une contribution solidaire à la sécurité de l’ensemble de l’Europe. Cela donne une nouvelle dimension aux obligations de neutralité de la Suisse, insuffisamment décrites dans le rapport. Il est possible d’imaginer des attaques contre des cibles en Suisse qui ne sont en fait pas dirigées contre elle en tant que pays. Un agresseur potentiel choisit dans sa palette d’attaques « hybrides » le moyen qui permet d’atteindre un objectif avec la plus grande probabilité de succès. Compte tenu des systèmes d’attaque militaires de plus en plus sophistiqués et précis et de la cybermenace indépendante de l’espace, la distance géographique entre la Suisse et les zones de conflit n’offre plus de protection fiable. Les infrastructures critiques ne doivent pas seulement être protégées au sol contre de simples sabotages ou des armes à distance, mais aussi dans les airs et dans le cyberespace. Cela implique également de prendre des mesures contre les dangers résultant de défaillances techniques ou de phénomènes naturels extrêmes.

Toute organisation de sécurité n’est efficace que si ses ressources (humaines et techniques) sont disponibles, formées et prêtes à l’emploi – la sécurité a besoin de systèmes de sécurité.

Sans sécurité d’approvisionnement, pas de résilience. Après la fin de la guerre froide, les capacités d’approvisionnement du pays ont été réduites pour des raisons d’efficacité économique et la Suisse a davantage compté sur ses bonnes relations internationales et ses accords écrits pour assurer les importations nécessaires en cas de crise. La pandémie de Covid-19 a clairement montré que ce calcul ne fonctionnait pas et que cette hypothèse était erronée. Pour garantir la disponibilité opérationnelle des systèmes actuels, il faut donc viser la plus grande indépendance possible. Et en même temps, il faut encourager l’implantation des technologies nécessaires aux systèmes futurs. Il ne s’agit pas seulement des technologies mentionnées dans le rapport, comme les TIC et les capteurs, mais aussi de la maintenance des systèmes actuels, qui restent souvent en service pendant des décennies, ainsi que des technologies réellement nouvelles, comme la réalité augmentée et l’intelligence artificielle. Les affaires compensatoires (offset) font également partie des mesures d’encouragement possibles. Il s’agit ici de s’assurer que les prochaines acquisitions avec les Etats-Unis donnent lieu à un transfert de technologie durable. Comme l’a montré l’étude Deloitte sur le déroulement des achats, une collaboration précoce avec l’industrie suisse permettrait d’obtenir de bien meilleurs résultats. Ces résultats ne sont pas seulement importants du point de vue financier, mais aussi du point de vue de la sécurité. Il convient d’y prêter attention dans le cadre d’un RAPOLSEC.

La politique énergétique est une politique de sécurité.

Le rapport sur la politique de sécurité prend également en compte, à juste titre, une dimension de politique énergétique. Si, par exemple, l’armée renforce son autarcie en matière d’approvisionnement lors de l’engagement grâce à la production et à l’utilisation d’énergie renouvelable, c’est un bon exemple de la manière dont la politique environnementale et la politique de sécurité peuvent être menées en symbiose. Selon le rapport sur les risques de l’OFPP (2020), une pénurie d’électricité de longue durée pendant les mois d’hiver représente le risque économique le plus important pour la Suisse. Sa probabilité d’occurrence est même jugée nettement plus élevée qu’en 2015. Ce risque n’est pas suffisamment pris en compte dans le rapport sur la politique de sécurité.

La gestion « hybride » des conflits ne relativise pas la menace militaire, mais la rend plus dangereuse.

La focalisation unilatérale du PSPC sur la « conduite hybride des conflits » conduit à la conclusion erronée que la conduite de la guerre a fondamentalement changé, de sorte que les moyens existants seraient inutiles ou ne devraient pas être remplacés. Comme le montre un coup d’œil aux frontières de l’Europe, les Etats continuent d’imposer leurs intérêts par des moyens militaires traditionnels. Et en tant que moyen de menace, ils ne sont en aucun cas le dernier recours des grandes puissances, notamment dans le cadre d’une association « hybride » avec des moyens de pression non militaires. Au 21e siècle, ils représentent toujours la monnaie forte dans les relations internationales. Le sort de l’Ukraine rappelle qu’un pays sans alliés solides doit pouvoir compter sur sa propre armée. Le rapport doit donc mentionner ouvertement les lacunes sensibles en matière d’équipement et d’effectifs, prévisibles même après la mise en œuvre de l’AAE. Sinon, il suggère à l’opinion publique une sécurité illusoire et conduit à la conclusion erronée qu’il n’est pas nécessaire d’investir dans la modernisation des forces aériennes et terrestres. Une profession de foi en faveur de l’armée exige la reconnaissance de vérités désagréables et l’acquisition de nouveaux moyens. 

Criminalité organisée – quo vadis ?

Le crime organisé, les services de renseignement interdits et l’extrémisme violent placent l’État de droit devant des défis difficiles à relever pour garantir la sécurité publique à l’avenir sans restreindre sensiblement les droits individuels des citoyens. Les autorités ont déjà du mal à endiguer le hooliganisme, un phénomène injustement oublié dans le rapport de politique de sécurité.

Le Conseil fédéral doit assumer ses responsabilités et prioriser les dangers.

Les spécialistes peuvent déduire de l’analyse de la situation du rapport tous les dangers et menaces imaginables, car ils peuvent également déduire logiquement les risques non ou trop peu décrits sur la base de ce qui est écrit. Mais le Conseil fédéral ne peut pas laisser le débat public, marqué par des intérêts particuliers et une attention médiatique à court terme, décider de l’importance de tous ces risques, qui est en fin de compte hautement politique. Il doit se baser sur les intérêts vitaux du pays, sur la menace qui pèse sur la réalisation de ces objectifs et sur des scénarios plausibles (probabilité d’occurrence) pour déterminer les instruments de la politique de sécurité dans lesquels il faudra investir plus ou moins à court et moyen terme que ce qui avait été prévu lors de la dernière période de rapport.

Les objectifs supérieurs doivent être formulés en référence à la Constitution.

Afin d’améliorer la traçabilité de la hiérarchisation des dangers, des objectifs (constitutionnels) devraient constituer le point de départ du rapport. Le Conseil fédéral signalerait ainsi avec assurance à la Suisse et à l’étranger que la Suisse ne se laisse pas instrumentaliser par une partie contre une autre, dans les bons comme dans les mauvais moments, et qu’elle utilise son monopole étatique de la force uniquement pour l’autodéfense. Le rapport de politique de sécurité peut par exemple s’inspirer du rapport de 1990 :

– La paix dans la liberté et l’indépendance ;

– Préservation de la liberté d’action ;

– Protection de la population et de ses bases d’existence ;

– Affirmation du territoire national ;

– Contribution à la stabilité internationale, principalement en Europe.

3. Conclusion

L’Alliance Sécurité Suisse partage l’avis selon lequel l’évolution internationale et, avec elle, les menaces et les dangers qui pèsent sur la Suisse restent marqués par un rythme soutenu et une grande incertitude. Notre pays doit lui aussi sans cesse prouver sa réputation de « pays sûr ». En période d’insécurité, le Conseil fédéral doit communiquer d’autant plus activement comment il entend préserver les intérêts du pays (et pas seulement quels dangers il voit). C’est pourquoi le rapport sur la politique de sécurité devrait, premièrement, être publié à un rythme plus court au cours de la législature. Deuxièmement, le rapport devrait se baser structurellement sur les intérêts vitaux du pays (comme les rapports précédents). La Suisse et l’étranger peuvent déjà voir dans le rapport annuel du Service de renseignement de la Confédération (SRC) ce qui menace la Suisse. Afin de tirer les bonnes conclusions, le Conseil fédéral ne doit donc pas se contenter d’analyser les menaces dans le rapport sur la politique de sécurité, mais doit également établir un ordre de priorité des mesures à prendre pour les maîtriser en se basant sur les objectifs. Le rapport sur la politique de sécurité constituera pour les prochaines années le document de base le plus important pour les nombreux domaines partiels au service de la sécurité de la Suisse. C’est pourquoi l’Alliance regrette l’absence de déclarations plus claires sur ce que le pays accomplit et sur ce qu’il doit encore accomplir pour être considéré, même dans un monde moins sûr, comme un pays où les gens peuvent vivre dans la liberté, la paix et la prospérité.